Soufflenheim et la fabrication des poteries

Soufflenheim et la fabrication des poteries

L'art ancestral et magique de la poterie à Soufflenheim (en alsacien "Süfflum" anciennement Sufflenheim, commune française située dans le nord du département du Bas-Rhin dans la nouvelle région Alsace Champagne-Ardenne Lorraine) remonte très certainement au 2ème millénaire avant Jésus-Christ. En effet, la présence d'argile, matière première directement utilisable et de bois à profusion, un combustible naturel, a fait que les hommes s’y sont installés durablement.

Ce sont les tertres funéraires (appelés des tumuli) situés dans la forêt, qui ont permis de mettre à jour les divers objets (bijoux et poteries principalement) et qui témoignent que les hommes de l'âge de bronze se servaient déjà de vaisselle élaborée qu'ils fabriquaient avec l'argile trouvée dans cette même forêt. Néanmoins, ces poteries modelées à la main sont encore de forme irrégulière, car le tour du potier ne fera son apparition dans notre belle région alsacienne que vers 400 avant Jésus-Christ.

Avec l'arrivée des Romains, la Gaule connut enfin une paix saine, heureuse et durable d'environ cinq cents ans « la Pax Romana ». Y a-t-il eu continuité dans la pratique de la poterie à Soufflenheim ? Les débris de récipients romains découverts ne permettent malheureusement aucune conclusion suffisante. Il semble cependant invraisemblable qu'à cette époque on eût apporté des poteries d'ailleurs, alors que l'on trouvait tout le nécessaire, c'est-à-dire : de l'eau, du bois et surtout de l’argile sur place. De plus,  une tuilerie romaine avec argilière annexée se trouvait en effet non loin de Soufflenheim à proximité de la route romaine Brumath-Seltz-Lauterbourg.

Après l'époque romaine, nous restons encore durant plusieurs siècles sans réelles preuves directes au sujet d'ateliers de poterie qui auraient existé sur l'emplacement actuel du village. Ce n'est qu'au 12ème siècle que nous en retrouvons finalement. Une tradition fort répandue veut que Soufflenheim ait eu à cette époque de nombreux et habiles potiers. A cette même époque, les potiers obtiennent de l'empereur Frédéric I Barberousse (fils de Frédéric de Hohenstaufen, dit le Borgne et fondateur de la ville de Haguenau, élu Roi d’Allemagne le 4 mars 1152, couronné Empereur Romain Germanique en 1155), le droit d'extraire gratuitement et perpétuellement l'argile du sous-sol de la forêt nécessaire à la pratique de leur noble artisanat.

Cette lointaine tradition, qui s’est transmise de pères en fils pendant plusieurs générations de potiers jusqu’à aujourd’hui, se fonde sur une belle légende dont il existe deux histoires. La première explique que ce noble privilège aurait été accordé en remerciement d'une crèche en terre cuite offerte par les potiers à l'Empereur. Le parchemin impérial justifiant ce droit aurait été précieusement conservé, puis détruit dans l'incendie de 1622 qui ravagea malheureusement entièrement l'ancienne Mairie de Soufflenheim. Selon l'autre version, Barberousse, qui chassait en forêt, fut un jour attaqué par un énorme sanglier. Un homme, qui travaillait non loin de là (un potier), accourut pour lui porter secours et le sauva d’une mort certaine. C'est en récompense de ce geste héroïque, que l'Empereur accorda aux potiers de Soufflenheim le privilège précité. J’aurais tendance à préférer la deuxième histoire !

Néanmoins, ce privilège fut remis en cause par l'administration des Eaux et Forêt qui contesta le droit des potiers lors d'un procès retentissant de 12 ans, terminé en 1843. Le tribunal de Strasbourg reconnut définitivement qu'il appartenait aux potiers de Soufflenheim le droit d'extraire l'argile nécessaire à leur profession. Le procès se termina grâce notamment à l'aide précieuse de six témoignages de vénérables personnes âgées, dont trois étaient originaires de Soufflenheim, et trois autres des villages alentours.

En 1435, il est question de « Schüsseldreher » de Soufflenheim, c'est-à-dire des tourneurs de poteries.

Au 16ème siècle, sur un document du 14 août 1508, il est question de « Hafner » ou potiers de Soufflenheim. D'après la tradition, une grande partie de la population pratiquait ce métier et la poterie alsacienne s'intègre de plein pied dans la tradition rhénane. Avant la Révolution, la vente des poteries était malheureusement réservée aux seuls potiers travaillant dans la localité. Etant donné qu'ils étaient très nombreux, la population du village ne pouvait absorber à elle seule toute la production. Ainsi ils obtinrent le droit de vendre leurs poteries à l'extérieur par l'intermédiaire de marchands ambulants de poteries (Gschirrmann). Ces marchands avaient un périmètre de vente qui s'étendait dans un rayon de plus de trente kilomètres. Les premiers marchands avaient une voiture à ridelles (Leiterwawe) tirée par un cheval de trait. On pouvait même voir des marchands dont la charrette, genre de tombereau, était tirée par des gros chiens.

D'après un recensement précis effectué, il y avait en 1837 à Soufflenheim, cinquante cinq poteries dont les deux tiers étaient des potiers paysans. En effet, certains paysans vivaient notamment de l'agriculture et de la poterie. Ce statut de potier-paysans était rendu possible par la présence d'une coopérative qui fournissait toutes les matières premières (terre, émaux, couleurs..). Ce qui était novateur pour l’époque. Les paysans s'adonnaient à la poterie surtout l'hiver ou lorsqu'il n'y avait pas beaucoup de travaux aux champs. Néanmoins, les cuissons s'effectuaient auprès de leurs confrères potiers de métier qui leurs mettaient le four à disposition.

A partir de 1870, Soufflenheim étant rattachée à l'Empire prussien, les potiers eurent grand mal à vendre leurs productions au nouvel occupant. En effet, les Prussiens avaient fait appel depuis fort longtemps à des articles culinaires en fonte ou en aluminium préférés à ceux en terre. Une totale hérésie ! Aussi et malheureusement, plusieurs ateliers durent cesser totalement leur activité. Subsistèrent essentiellement les potiers dont la production relevait d'un caractère plus artistique mais non moins culinaire.

L'avènement du chemin de fer en 1895 avec la ligne Haguenau-Rastatt permit aux potiers de Soufflenheim de se développer et d'expédier leurs nombreuses marchandises dans les différentes villes par conteneurs entiers.

Cette situation perdura jusqu'après la 2ème Guerre Mondiale. Mais, ce n'est que vers les années 60 que la poterie de Soufflenheim connut une renaissance sous l'impulsion du marché allemand, très friand du style de ce bel artisanat local. Le dernier marchand ambulant, quant à lui motorisé, a exercé son activité jusque dans les années 70.

Aujourd'hui, une quinzaine d'ateliers continue à perpétuer les gestes ancestraux pour produire nos fameux moules à kougelhopf, d’autres moules ancrés dans la tradition alsacienne ou nos fameuses terrines ovales pour y cuire le baeckeoffe ou une bonne choucroute. Les artisans actuels cultivent chacun leur propre originalité. On y retrouve des coloris fidèles aux tendances traditionnelles, mais également des pièces plus modernes et des couleurs parfois vives et éclatantes.

Cette belle cité a donc bâti toute sa réputation en perpétuant à travers les siècles et les différentes générations, le noble métier de potier et son artisanat.

Je ne pense pas que vous sachiez comment surnomme t-on les habitants de Soufflenheim ? Et ne répondez pas les Soufflenheimois, ça serait trop facile ! On les surnomme les « Hellegeischter », qui signifie littéralement esprits de l'enfer. Ce surnom vient de ces temps reculés où les potiers de Soufflenheim cuisaient leurs productions dans de grands fours à bois. En effet, ces fours une fois arrivés à leur température finale crachaient par leurs hautes cheminées, le feu, des grandes volutes de fumée et des milliers de petites braises incandescentes. Ces flammes devaient sûrement impressionner les étrangers qui passaient de nuit à proximité immédiate du village. Ils devaient se dire que les feux de l'enfer étaient brutalement libérés par les entrailles du sol de Soufflenheim.

 

La poterie et Soufflenheim (on l'appelle aussi la cité des Potiers ou « Töpferstadt » en alsacien) sont donc deux mots totalement indissociables !

 

Mais comment diable est fabriquée la poterie artisanale de Soufflenheim ? Elle est née de la transformation sous l’action du feu d’un matériau universellement répandu qui est une terre, l’argile. La poterie peut être classée dans la catégorie des arts de la terre si on prend en compte le matériau qui la constitue ou dans celle des arts du feu si l’on prend en compte le procédé qui permet la transformation du matériau. Ces poteries artisanales supportent les hautes températures (et donc toutes les températures de cuisson de votre four !) et permettent une utilisation domestique et culinaire par excellence.

Nous allons essayer de vous détailler, en quelques étapes mais le plus fidèlement et simplement possible, le mariage de la terre, de l'eau et du feu autrement dit, la fabrication des magnifiques poteries culinaires que je vous propose sur mon site. Car avant de devenir poterie, cette terre connaît de nombreuses phases entre les mains aguerries et assurées des artisans potiers.

 

Tout d’abord, la première étape est le malaxage. D’abord broyé, l'argile est malaxée, tamisée et humidifiée. Le malaxage de la terre est primordiale et conditionne la réussite finale de toutes les poteries : il homogénéise les particules de terre et les molécules d'eau. En fait, il rend la terre beaucoup plus plastique, élastique et malléable.

 

Puis vient la deuxième étape qui est la délicate transformation de la terre crue en une forme originale. Cette transformation peut s’opérer de différentes manières, en fonction du produit final souhaité par le potier:

- par modelage : c’est la technique la plus primitive, le modelage est la mise en forme d'une boule de terre par la simple pression des doigts du potier.

- par pressage : on presse l'argile et on le calibre dans des moules en plâtre ou on le presse entre deux matrices. Le moule, en plâtre, est utilisé pour définir l'extérieur de la forme. Le plâtre a aussi la particularité d'absorber l'eau.

- par tournage : C’est la technique la plus perfectionnée et la plus aboutie. Néanmoins, elle nécessite un apprentissage long et assidu. Cette technique, qui a fait son apparition aux alentours de 4000 ans avant Jésus-Christ, a véritablement révolutionné la poterie en permettant d'obtenir très rapidement des formes beaucoup plus régulières et des pièces beaucoup plus légères et fines. Le tour se compose d'un plateau rotatif qu’on appelle girelle. Après avoir disposé une motte d'argile au centre de ce plateau, le potier la façonne en la faisant tourner sur elle-même et la travaille pendant la rotation plus ou moins rapide. C’est le potier qui commande la rotation du tour. La pièce peut être travaillé avec les mains ou à l'aide d'un outil. Ce savoir-faire traditionnel est en fait une véritable prouesse technique !

 

Une fois le corps de la poterie formé, après un à deux jours de séchage, quand la terre a la consistance du cuir, le potier peut procéder à des finitions ou rectifier des petites imperfections. C’est à ce moment la que l’on peut réaliser des découpes ou la pose des anses, des poignées ou encore des différents éléments de décor. C’est ce que nous appelons le garnissage.

 

Bien évidemment, tout au long de ces différents processus et pour garantir la régularité des formes, des contrôles réguliers de calibrage sont effectués. Une fois les formes acceptées, les poteries vont être précautionneusement nettoyées pour enlever tout excès d’argile.

 

Passons maintenant à l’engobage qui est une étape importante. L'engobe est un revêtement mince à base d'argile (délayée et additionnée d’oxydes métalliques et de différents colorants et pigments naturels) appliqué sur une poterie pour modifier sa couleur naturelle. Il s’agit donc en fait de l’application des belles couleurs de fond sur les différentes poteries. Un engobe se différencie d'un émail par sa teneur en argile beaucoup plus importante. Les pièces brutes sont généralement plongées directement dans l’engobe.

 

Place maintenant à la décoration des poteries qui va les transformer en véritable œuvre d’art. C’est l’application des différents motifs. La décoration est entièrement effectuée à la main. Chaque modèle est donc le produit unique et original du travail d'artisans experts dans leur art. Ils vont utiliser un petit récipient (un barolet) en forme de poire muni traditionnellement d'une plume d'oie (les célèbres oies alsaciennes !) et rempli d’engobe coloré ou des pinceaux, puis leur dextérité et leur grande maîtrise vont donner naissance à votre belle poterie traditionnelle.

 

L’étape suivante est le séchage. Les poteries, entreposées dans un endroit sec et aéré en atmosphère ambiante, sont très régulièrement retournées pour homogénéiser le séchage qui va durer plusieurs semaines en fonction du taux d'hygrométrie. Cela permet l'évaporation complète de l'eau pour une bonne stabilité dimensionnelle de la poterie et évite ainsi les risques de fissures, sous la dilatation de la vapeur dans la masse, lors de la cuisson des poteries. Ce séchage doit être entièrement naturel et son temps dépend de la taille des pièces (généralement de une à trois semaines).

 

L’avant-dernière étape est le processus d'émaillage. C’est l’application d’une glaçure sur les différentes pièces. L’émail, appelée aussi la glaçure, est un enduit vitrifiable, garanti sans plomb, posé à la surface de la poterie afin de la durcir, de la rendre imperméable et de la décorer en la rendant éclatante et brillante. L’émail peut se poser soit simplement par trempage, soit par pulvérisation dans une cabine d'émaillage ou par une combinaison des deux suivant la forme et la complexité des pièces.

 

Vient maintenant la dernière étape qui est le montage du four (chaque poterie est chargée délicatement dans le four en fonction d’un plan précis d'enfournement) et la cuisson à proprement parlé. Cette cuisson, aux environs de 1000°C, va durer, en règle générale, neuf heures. Cette haute température (dont chaque artisan potier garde jalousement la valeur secrète !) rendra les céramiques parfaitement solides et, en permettant aux émaux de fondre, déposera une fine couche de verre. Les authentiques poteries culinaires d'Alsace sont donc intégralement étanches car totalement vitrifiées. Cette cuisson, qui est le moment où la pâte devient une autre matière et se transforme en poterie, se singularise par son irréversibilité totale et absolue. La cuisson est donc une phase extrêmement importante qui doit se dérouler très progressivement, c'est-à-dire que la fournée est soumise à un échauffement régulièrement croissant jusqu'à la température de cuisson désirée, et ensuite doit se refroidir tout aussi graduellement. Chaque potier utilise donc une « courbe de cuisson » qui lui est propre et qui est transmise de père en fils (ou fille).

 

L’ultime étape, bien évidemment, est le défournement et la découverte des belles poteries ! Il n’existe, je crois, rien de plus plaisant pour un potier que d’ouvrir la porte de son four et de discerner enfin tout le fruit de son travail et de son art.

 

Toujours et sans cesse à la recherche constante d'amélioration, les poteries ont atteint, aujourd’hui, un niveau de qualité et de précision impressionnant.  En plus de leurs qualités culinaires (faut-il rappeler que ces poteries rehaussent le goût de tous vos plats !), elles deviennent de nouveaux objets de décoration pour votre cuisine, votre table ou votre intérieur. Servir des repas dans de belles poteries de Soufflenheim ravira à coup sûr tous vos invités et votre famille tout en les étonnant par les belles couleurs et les motifs originaux !

 

Maintenant que vous savez quasiment tout sur l’énorme travail et la dextérité nécessaire à la genèse d’une belle et traditionnelle poterie alsacienne, je vous invite à regarder avec un œil nouveau et attentif votre terrine ou votre kougelhopf, en imaginant le grand soin qui a été apporté à son élaboration.

 

 

13/03/2016 Accueil, Actualités 6420

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